SLD #32 · Tamara Sredojevic, Accessibilité et Product Design

SLD #32 · Tamara Sredojevic, product design et accessibilité

Un bon design, c’est un design qui n’exclut personne ! C’est le message que transmet Tamara Sredojevic dans ce podcast. Un épisode qui nous permet de continuer de creuser le sillon de l’accessibilité à travers son parcours de product designer.

Publié le 12 mars 2025

Bonjour à tous et à toutes et bienvenu·e·s dans ce nouvel épisode de Salut les Designers !

Dans ce podcast, Damien et Alizée reçoivent Tamara Sredojevic, product designer chez MAIF et spécialisée en accessibilité numérique. L’occasion de revenir sur son parcours atypique, ses actions au sein de la Digital Factory – et au-delà – sa vision et ses valeurs en tant que designer.

Bonne écoute à tous et à toutes !

La transcription

Damien : Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de Salut les Designers, le podcast de l’agence LunaWeb ! Ici Damien et je suis accompagné aujourd’hui par Alizée, salut Alizée !

Alizée : Salut Damien !

Damien : On a le plaisir aujourd’hui de recevoir Tamara Sredogevic, que nous avons rencontrée à Paris Web en septembre dernier avec Alizée. Salut, Tamara, merci d’être avec nous !

Tamara : Merci beaucoup.

Damien : Ça va ?

Tamara : Ouais.

Damien : Super !

Alizée : Avant de commencer, est-ce que tu peux nous dire un petit peu plus qui tu es, ce que tu fais aujourd’hui et quel a été ton parcours pour arriver jusqu’ici ? Quand est-ce que l’accessibilité t’es un peu tombée dessus ?

Tamara : Oui, je suis UX designer, je me suis spécialisée en accessibilité, peut-être un peu par hasard, jusqu’à ce que je me prenne un diagnostic de neuro-diversité. Là, tu commences à te dire que ça a du sens, peut-être. Mais du coup, ça m’intéresse beaucoup cette partie neuro-divergence.

 Je me suis spécialisée en accessibilité un peu par hasard, jusqu’à ce qu’on me fasse un diagnostic de neurodiversité. Là, j’ai commencé à me dire que ça avait du sens.

Donc, je fais aussi du design neuro-inclusif pour vraiment aller creuser justement de neuro-divergence, comment on fait des conceptions qui fonctionnent pour ce type de public. Je suis freelance, en ce moment, je travaille avec la MAIF, sur le site de la MAIF.

Je suis arrivée en accessibilité parce que quand j’ai commencé le design, j’étais dans des communautés de femmes en tech et c’était assez intéressant. Tout le monde voulait essayer de réparer une injustice dans cette communauté-là. C’était soit des injustices qu’elles vivaient elles-mêmes, personnellement, soit des choses qui les touchaient.

 Quand j’ai commencé le design, j’étais dans des communautés de femmes en Tech, c’était assez intéressant. Elles voulaient réparer des injustices dans cette communauté-là. Il y avait donc forcément beaucoup de design éthique, de l’accessibilité et de l’inclusion.

Donc, il y avait forcément beaucoup de design éthique. Il y avait de l’accessibilité, il y avait de l’inclusion, il y avait toujours ces sujets-là. Pas trop l’éco-conception à l’époque, mais en tout cas, moi, quand j’ai commencé le design, ça faisait tout de suite partie du lot. Je n’ai pas eu de spécialisation après coup.

Alizée : Est-ce que tu as fait des écoles ? Tu t’es auto-formée ? Comment ça s’est passé ?

Tamara : Je suis autodidacte, le mot, c’est ça. Effectivement, je venais du marketing où je m’étais aussi formée sur le tas. Et le design, au final, il y avait quand même beaucoup de parallèles avec ce qu’on peut faire en marketing digital, sur les habitudes d’utilisation, qu’est-ce qu’on est censé trouver, à quel endroit et pourquoi on fait ça. Ça, c’est du marketing digital, c’est de l’engagement. Il y avait beaucoup de choses similaires.

 Je suis autodidacte. Au final, il y avait quand même beaucoup de parallèles avec ce que je pouvais faire en marketing digital, sur les habitudes d’utilisation par exemple.

Après, le design, je me suis formée en ligne avec des cours gratuits. Et notamment, j’étais pas mal aiguillée parce que dans cette communauté où j’étais, il y avait beaucoup de designers qui m’ont montré plein de choses, qui m’ont montré comment travailler, quelles étaient les ressources que je pouvais utiliser. Donc, ça s’est fait de façon assez collaborative. Puis après, j’ai mis les mains dans le cambouis.

Alizée : Tu nous disais en off que tu as commencé à travailler à l’étranger, puis en France où tu as continué à mettre en place ce que tu connaissais. Est-ce que tu as vu une différence entre l’étranger et ici ?

Tamara : Oui, effectivement, je travaillais déjà à Londres, principalement. Puis après, j’ai commencé à travailler avec d’autres entreprises en Écosse, aux États-Unis. Et même en étant rentrée en France, mon réseau était là-bas. Donc, je travaillais avec des gens qui avaient peut-être pas forcément d’avance technique, mais dont ce sujet-là de l’accessibilité et de l’inclusion, c’était beaucoup plus proéminent, c’était déjà acquis.

Après, c’est aussi lié au secteur, parce que moi, je travaillais avec des assos. Des assos, pas besoin de tellement commenter sur les besoins de l’accessibilité et de l’inclusion, c’était plus facile. Mais effectivement, c’était vu de façon assez intersectionnelle. Alors qu’en France, j’ai l’impression qu’on va axer le handicap et c’est tout. Quand on commence à croiser avec d’autres paramètres d’inclusion sociale, raciale.

 Dans le secteur associatif, je travaillais avec des gens qui n’avaient peut-être pas d’avance technique, mais pour qui les sujets de l’accessibilité et de l’inclusion étaient déjà acquis.

Là, j’ai l’impression qu’on n’y est pas encore. En tout cas pas dans les domaines où moi, je suis allée pour l’instant. Donc, je vois des différences effectivement culturelles, mais c’est vraiment lié au contexte politique aussi. Parce que quand moi, j’ai commencé à travailler avec ces gens-là, il y avait Black Lives Matter. En France, on n’était pas sur ces sujets-là. On a eu peut-être des émeutes dans les banlieues, mais ce n’est pas les mêmes sujets qui en sont ressortis du tout.

Donc, politiquement, on voit aussi comment les entreprises s’approprient ces sujets-là. Ce n’est pas du tout la même chose.

Damien : Je reviens à ce sujet de l’accessibilité qui est très ancré dans ton quotidien à la MAIF – il paraît même que l’on t’a donné un petit surnom sympathique.

Est-ce que tu veux bien nous expliquer un peu plus précisément en quoi ça consiste, ce que tu fais avec ce rôle-là ? D’ailleurs, est-ce qu’il a un nom, ce rôle, je ne sais pas ?

Tamara : Non, il n’y a pas de rôle, on m’a donné un jour pour travailler ces sujets de façon transverse parce que je posais beaucoup de questions sur les process.

Parce que quand je suis arrivé chez MAIF, j’avais surtout bossé pour des assos, des startups. Je ne connaissais pas le système d’un gros paquebot. Donc, c’était une grosse découverte pour moi. Je n’étais pas dans une optique d’amélioration, mais plutôt de comprendre comment ça marchait.

 Un jour à la MAIF, je me suis rendue compte qu’il y avait un problème sur un alt. J’ai cherché pourquoi on avait cette erreur, et je me suis rendu compte que l’on n’annotait pas les maquettes.

Et effectivement, au tout début de mon parcours, je me suis rendue compte qu’il y avait un problème sur un alt. Et je suis allée chercher pourquoi il y avait un problème sur cette alt, qu’est-ce qui, dans le process, fait qu’on avait des erreurs ? Et je me suis rendu compte qu’on n’annotait pas nos maquettes.

Ce n’est pas que personne n’y avait pensé, mais juste, ce n’était pas fait. Donc, en creusant un petit peu le sujet, on s’est rendu compte qu’il fallait annoter nos alts – pas que, mais ça en faisait partie. Et du coup, les gens ont dû se former un peu sur le sujet, y compris moi, parce que tu creuses quand même.

Sauf qu’à force de parler des alts, ils m’ont appelé Tamaralt

Alizée : (Rires)

Damien : (Rires)

Tamara : (Rires) Tant pis pour moi…

Damien : Est-ce qu’on peut faire juste une petite parenthèse, pour celles et ceux qui nous écoutent, avant de reprendre, sur c’est quoi justement ces fameux alt ?

Tamara : Un alt, c’est une alternative textuelle, c’est ce qui permet de décrire une image. C’est valable sur les sites, mais aussi sur les réseaux sociaux. Quand tu as une information qui est importante pour la compréhension de la page, le RGAA te demande de décrire cette image. Et ça, c’est un truc qui, finalement, va être codé par les devs dans un grand process.

 Il faut bien dire aux développeurs ce qu’il y a dans les alts. Est-ce que c’est décoratif ou pas ? Ça fait partie de l’expérience de tous nos utilisateurs.

Mais, il faut bien que tu lui dises, à ton dev, ce que tu veux dans cet alt ! Ce n’est pas à lui de décider. Est-ce que c’est décoratif ou pas ? Qu’est-ce que je mets ? Tout ça, ça fait partie de l’expérience de tous nos utilisateurs. Donc c’est pour ça que, en tout cas, chez MAIF, on le fait porter par les UX.

Damien : Donc c’est un peu ce qui t’a fait rentrer dans le sujet, cette histoire de recherche de alts ?

Tamara : C’est ça. Ça commence par un alt et ça se termine avec un jour par semaine. (Rires)

Damien : (Rires) Justement, j’imagine que maintenant, dans ce jour par semaine, sur toute cette notion d’accessibilité et de design, tu fais d’autres choses ?

Comment t’accompagnes les gens avec qui tu travailles ?

Tamara : Je pense que tous les designers de la Digital Factory chez MAIF, donc les équipes qui s’occupent du site et de l’appli sont tous assez compétents maintenant sur le sujet. Effectivement, il y a beaucoup de collaborations. Chacun un petit peu à une expertise différente, donc on sait qui est bon en wording, qui est bon en UX Writing, qui est bon en data, qui est bon en accessibilité. Donc, on va toujours chercher les compétences et les expertises l’un des autres.

Pour l’accessibilité, effectivement, à force de parler des alts, à force de parler de handicap, à force de dire : « Attendez, la recherche utilisateur, ça vous dit, on inclut aussi des gens qui ont un handicap, ça pourrait être intéressant ?  » Et pas que pour des tests, juste, c’est quoi la perception de notre produit, de notre marque quand on a un handicap ? Est-ce que c’est différent ou pas ?

 L’accessibilité, c’est faire tester ses productions par de vraies personnes.

Il faut aller chercher avec des vrais gens, parce que la conformité, c’est un pan de ce sujet-là, l’accessibilité, c’est quand tu testes avec des vraies personnes. Et ça, tu n’as même pas besoin d’accessibilité pour le savoir. Tu fais de l’UX, tu fais de la recherche, tu fais du test, ça va avec.

Donc moi, ce que j’essaie de faire, c’est de pousser ce genre de sujet. Je fais de la sensibilisation. Un peu par défaut, je me suis retrouvée un peu à être au bout des questions des designers, pas que, mais des designers. Et après, on remonte la chaîne. C’est assez rigolo parce qu’il y a des questions auxquelles je peux répondre en tant que designer. Il y en a d’autres où je vais chercher mon intégrateur préféré et il va m’aider. Et si notre intégrateur ne sait pas, je remonte aux consultants avec qui on travaille. Donc, il y a plein de questions de plus en plus techniques, mais effectivement, c’est toute une chaîne.

Damien : Au final, tu passes quand même pas mal de temps sur ce projet, tu accompagnes pas mal de gens avec qui tu travailles. Pour autant, il me semble que tu restes assez mesurée sur la notion d’experte, je ne crois pas que tu te définisses vraiment comme ça.

Comment tu te positionnes par rapport à ce sujet, l’expertise, la certification ?

Tamara : Effectivement, je n’aime pas dire que je suis une experte parce que je ne suis pas consultante en accessibilité numérique. C’est un métier à part. Tout comme auditeur, c’est un métier à part. Moi, je ne suis que designer et c’est vrai que cette notion de m’être formée de façon autodidacte, parfois, je me demande « Est-ce que je sais vraiment ce que je fais ? ».

 Je n’aime pas dire que je suis une experte, je ne suis pas consultante en accessibilité numérique, c’est un métier à part, tout comme auditeur. Je ne suis que “designer”, mais j’ai un intérêt spécifique pour l’accessibilité.

Je n’aime pas parler d’expertise. C’est peut-être un intérêt spécifique, je ne sais pas. En tout cas, ça m’intéresse. Donc ça, c’est le début. Quand tu sais quelles questions poser, c’est déjà bien. Je pense qu’on n’a pas besoin d’être expert pour participer aux efforts d’amélioration de l’accessibilité, c’est important. N’importe qui peut faire quelque chose et ça, c’est cool.

 Je pense qu’on n’a pas besoin d’être expert.e pour participer aux efforts d’amélioration de l’accessibilité. C’est un sujet important, tout le monde peut faire quelque chose et ça, c’est cool.

Maintenant, je cherche effectivement à monter des paliers techniques. Donc je vais me former en audit, parce que ça m’énerve de ne pas répondre à toutes les questions qu’on me pose. Mais voilà, en tout cas, c’est important de savoir que tu peux participer, même sans être expert. On s’en fout de ça.

Alizée : La notion d’expert, ça dépend aussi à quel niveau on se situe. On peut être expert en plein de choses, même si c’est au plus bas niveau, on est toujours plus expert que quelqu’un. Donc oui, il y a des personnes qui vont être encore plus expertes que toi, mais aujourd’hui chez MAIF, tu vas être la personne qu’on va venir voir pour questionner un sujet autour de l’accessibilité.

Après, tu sais ou tu ne sais pas, tu vas chercher plus loin comme tu le disais, mais c’est quand même toi qu’on vient voir pour être un petit peu plus rassuré sur la question ?

Tamara : Ça arrive souvent. Après, ça fait partie de la maturité d’une équipe, effectivement, de savoir qui aller contacter quand on a une question sur tel sujet, c’est important, ça ne fonctionne pas trop mal. Mais il y a des gens qui vont voir directement les intégrateurices ou qui vont voir directement les consultant.e.s, on s’en fout.

 Ce n’est pas qu’une histoire de connaissance, c’est aussi une histoire de process. Quand on veut faire évoluer les choses, il faut tout arrêter, aller voir le design system, être sûr que cette question n’a pas déjà été traitée par une autre équipe.

Vraiment, tant qu’on peut répondre à la question ou juste savoir dire : « Non, ça, je ne sais pas « . Et des fois, ce n’est même pas une histoire de connaissance, c’est aussi une histoire de process, parce que ça arrive qu’on vienne me chercher parce que le ticket d’un développeur, c’est sur l’accessibilité. Je sais répondre à la question, sauf qu’en fait, il faut que ce soit une réponse qui soit adoptée en transverse dans tous les produits. Donc, ce n’est pas à moi de décider qu’on va inverser tel et tel élément. Il faut que dans tous nos produits, on fasse la même chose. Donc des fois, il faut tout arrêter, il faut aller voir le design system, il faut être sûr que cette question n’a pas déjà été traitée par une autre équipe, histoire que ce soit cohérent.

Donc, effectivement, il y a une partie expertise technique, mais aussi les process qui changent tout.

Alizée : Quand il y a un problème que tu soulèves, qu’il faut remettre en question potentiellement plusieurs équipes, aller voir le design system, etc, combien de temps ça prend à peu près ?

Pour savoir d’où ça vient, se dire : « ok, c’est autour des UX de peut-être annoter ça dans les maquettes », etc, combien de temps il a fallu pour qu’à partir du moment où tu mettes le doigt sur cette incohérence, ce soit vraiment mis en place aujourd’hui sans qu’on vient de te reposer la question ?

Tamara : Pour les alts, ça a pris trois mois, mais c’était le premier sujet aussi. En tout cas, c’était le premier sujet que moi, je portais. On a fait la même chose pour les sr-only. Ça, c’est un attribut que tu vas mettre sur de la police d’icône, par exemple. Et ça, c’est pareil, c’est une des indications que tu vas donner aux utilisateurs de lecteurs d’écran sur : « Il se passe quoi si je clique là-dessus ? « .

 Pour traiter les alts, ça a pris trois mois, mais c’était le premier sujet que je portais. Ensuite, j’ai fait la même chose pour les sr-only et ça a déjà été plus rapide.

Ce truc-là, c’est un peu le même principe que les alt, mais ça a pris qu’un mois parce qu’on avait déjà fait ce process d’annotation. Qui devait être au courant ? Beaucoup de monde, parce que tu mets effectivement les designers, mais tu mets aussi les concepteurs, tu mets les testeurs, les devs, tout le monde est dans la boucle. Et une fois que tu as fait le tour, il se passe du temps. Mais si tu l’as déjà fait une fois, c’est vrai que ça va plus vite, en tout cas, donc tu gagnes en maturité d’un point de vue collectif.

Et Là, pour un ticket où vraiment un dev va me dire: « J’ai ça à faire, le consultant m’a dit de faire ça, ça ou ça, qu’est-ce que tu préfères ? « . Moi, je sais par expérience, en étant dans cette équipe et dans cette entreprise, qu’il ne faut pas qu’on le traite comme ça. Il faut voir en transverse comment ça se passe.

Ça, ça prend trois minutes à lui dire. Après, il faut juste que j’attende que mon lead me réponde. Ça peut prendre du temps, mais c’est traité dans la semaine, tout ça. Il n’y a pas de souci.

Alizée : Quand tu as de nouvelles personnes qui arrivent dans l’équipe MAIF, comment ça se passe ? Comment tu passes l’info de ces fameux alt, si la personne n’est pas formée ? Comment tu arrives à promouvoir cette parole-là auprès des derniers arrivés ?

Tamara : Moi, j’ai beaucoup de chance parce que j’ai effectivement une nouvelle qui binôme UX dans ma squad, qui est déjà formée en accessibilité, qui est une ancienne dev, donc je n’ai pas besoin de lui expliquer ce genre de choses. Elle sait, elle sait parfois plus que moi, donc c’est hyper confortable.

Et puis, quand les gens sont moins formés, ce n’est pas grave parce qu’on se forme sur le tas aussi, ça, c’est normal. Ce qu’on ne sait pas, on va l’apprendre. En fait, il n’y a pas… Personne ne sait tout, ça n’existe pas, sinon tu n’es pas là.

 Si les gens sont moins formés, ce n’est pas grave parce qu’on se forme sur le tas, c’est normal. Ce qu’on ne sait pas, on va l’apprendre. Personne ne sait tout directement, ça n’existe pas.

Et après, ce qui est un peu plus compliqué, c’est justement les process, comment on travaille dans cette équipe ou dans cette entité. Même un dev qui est très bon en accessibilité, s’il n’est pas au courant que l’info, ce n’est pas à moi de la lui donner, mais qu’il faut que ce soit d’abord écrit dans une spec et qu’il faut qu’on aille vérifier avec un concepteur, c’est là qu’on peut faire des petites erreurs, mais ça, ça prend pareil au fil du temps.

Après, on a des onboarding, on a pas mal de documentation en interne, on se partage des ressources, c’est vrai. Ça, ça fonctionne bien. On a beaucoup de synchros entre designers. Moi, j’ai créé un jeu de cartes où là, récemment, je l’ai fait pour tous les designers de la Digital Factory, justement. Il y a beaucoup beaucoup d’échanges, mais c’est important. Je sais que ça ne marche pas comme ça partout. Chez MAIF, ça fonctionne bien.

Alizée : Ok. J’enchaîne sur une petite question, on avait échangé sur cette fameuse génération durant laquelle les Awwwards étaient un peu vus comme un objectif premier de designers. C’était un peu le truc à viser, moi, la première. Combien de fois, j’ai essayé de mettre des sites sur ces sites-là en espérant avoir ce fameux badge qu’on vient greffer sur le côté. Et forcément, quand tu ne l’as pas, tu te dis : « Je ne suis pas à la hauteur, je suis nulle ».

Aujourd’hui, le design a quand même énormément mûri. On parle plus de qualité, de sobriété, d’accessibilité, de performance. C’est maintenant ces fameux goal-là, presque, qui sont à avoir, plutôt que ce petit badge qu’on avait initialement.

Comment toi, tu vois les choses par rapport à tout ça ? Comment tu l’as ressenti ?

Tamara : Effectivement, quand j’ai commencé à me former en design, très vite, j’ai compris qu’il y avait ce truc-là qu’il fallait avoir. C’était formidable, ça avait l’air génial, les sites étaient ultra beaux…

Alizée : L’effet waouh quoi.

Tamara : Il y avait cet effet waouh qu’on te demande, il y était. Par contre, je ne sais pas pourquoi, il y avait toujours un compteur pour charger les sites en hyper gros avec une police trop belle. Et la souris était lente. C’est pareil, je ne sais pas pourquoi on ralentissait la souris. Et puis, Il y avait toujours un cercle autour, justement, de ta souris. Plein de choses comme ça.

 À l’époque, il y avait le fameux effet waouh. Avec un loading pour charger les sites, en hyper gros avec une police trop belle. Et la souris était lente, avec un cercle autour…

Très, très joli. D’un point de vue DA, ultra beau, il n’y avait rien à dire. Par contre, effectivement, j’avais l’impression que c’était un petit peu comme en art. Il y a des choses qui sont faites pour être exposées et il y en a d’autres qui sont faites pour être utilisées. Et je pense que ça n’a aucun intérêt d’avoir ce genre de site pour une entreprise comme MAIF. On n’est pas là pour ça.

Cet effet waouh, l’utilisateur qui veut un tarif pour son assurance auto, il s’en fout. Vraiment, lui, il veut arriver au bout de son truc sans avoir perdu ses cheveux, entre deux, c’est tout. Donc, effectivement, ce n’est plus un truc que je vise aujourd’hui, mais à l’époque, ça me frustrait et je m’étais dit : « Moi, je suis nulle, je ne suis pas une bonne designer « .

Et peut-être que je crois que j’ai encore des Il reste de ce truc de me dire : « Je ne suis pas une bonne designer parce que je n’ai pas ce badge « . Alors qu’en fait, je sais qu’il n’y a pas de critère d’accessibilité là-dedans. En tout cas, il n’y en avait pas à l’époque. Peut-être que ça a évolué, mais il n’y en avait pas à l’époque. Donc, qu’est-ce que ça vaut finalement ? À qui ça sert ? Je ne sais pas.

Alizée : Ok.

Damien : J’ai quand même l’impression que quand tu parles de tout ce que tu peux faire à la MAIF et en dehors, au niveau du partage, tu parlais du jeu de cartes que tu mets à disposition de pas mal de gens, que tu fais essayer, j’ai l’impression que tu milites d’une certaine manière pour faire un petit peu plus d’accessibilité dans le numérique et peut-être même au-delà.

Est-ce que tu peux nous parler un peu de tous les moyens que tu mets en place pour essayer de faire en sorte que chacun prenne à bras le corps cette motivation, que ça infuse auprès de tout le monde ?

Tamara : Oui, effectivement, la notion de partage est importante parce que comme j’ai appris grâce à des gens qui m’ont donné du temps aussi, j’ai l’impression que c’est une façon de renvoyer l’ascenseur. Il y a cette idée d’équilibrer un petit peu les choses parce que moi, il y a des gens qui bossaient déjà, qui ont pris le temps d’évaluer mes portfolio, qui étaient complètement nuls – avec le recul, quand j’y repense, j’ai hyper honte, mais ça me fait rire, je ne suis plus gênée à ce point.

 La notion de partage est importante, parce que j’ai appris grâce à des gens qui m’ont donné du temps. J’ai l’impression que c’est une façon de renvoyer l’ascenseur.

Donc c’est rigolo de se dire : « Il y a des gens qui ont pris du temps pour me dire tiens, fais attention à ça, ça, ça  » et aujourd’hui, j’y pense encore. Il y a des fois, je fais : « Est-ce que tous ces éléments, ils sont bien alignés ?  » parce que s’ils ne sont pas alignés, ça ne marche pas…

Alizée : J’allais te demander un exemple, justement…

Tamara : Mais voilà, des choses sur une grille par exemple. Moi, je n’ai pas d’expérience en UI ou en graphisme, je n’ai pas fait de print. Les gens qui ont fait du print, j’ai l’impression qu’ils sont hyper carrés sur certaines choses que moi… Je flotte.

Du coup, je pense à ces choses-là parce qu’on m’a dit : « Attention, ça, il faut faire attention. Et puis là, ton espacement, ce n’est pas OK « . Donc, j’ai des petites phrases comme ça qui m’ont été envoyées avec beaucoup de bienveillance. Ça change tout. C’est ce qui fait que je ne me suis pas perdue, que je ne me suis pas braquée, parce que les gens, ils ont été gentils avec moi et par le temps et par les conseils qu’ils m’ont donnés. Donc, pour moi, c’est normal de faire ça comme ça.

 Les gens ont été gentils avec moi, à travers le temps et les conseils qu’ils m’ont donnés. Pour moi, c’est normal de faire mon travail avec bienveillance, pour faire passer ces idées.

Et si tu ne fais pas ça comme ça, ça veut dire qui participe ? Ça veut dire qu’il n’y a que des gens qui ont fait des écoles ? Donc il n’y a que des gens qui ont des moyens ? Et en fait, moi, je n’ai pas fait d’école. J’avais pas ma famille dans le domaine. En attendant, je suis là, je fais ce que je fais, mais je me dis que si on ouvre un petit peu justement ces ressources, on fait de la place aussi à des gens qu’on n’a pas l’habitude de voir dans nos équipes. Et ça, pour moi, c’est important parce que tu ne peux pas faire des produits pour des gens que tu ne connais pas du tout.

Et donc la solution, c’est que plein de gens différents créent des produits pour pouvoir servir plein de gens différents qui ressemblent à notre société. Parce que notre société, elle est hyper diverse. Qu’on soit d’accord ou pas, c’est comme ça. Donc pour moi, l’inclusion sociale, ça fait aussi partie de la solution. Donc c’est pour ça que oui, je mets à disposition des ressources.

 Si on ouvre un petit peu les ressources, on fait aussi de la place à des gens que l’on n’a pas l’habitude de voir dans nos équipes. Et ça, pour moi, c’est important, l’inclusion sociale, ça fait aussi partie de la solution. C’est pour ça que je mets à disposition ces ressources.

J’ai vu aussi qu’il y avait un problème dans les ressources, notamment en accessibilité. Quand j’ai commencé chez MAIF, j’envoyais beaucoup de ressources à mes collègues, parce qu’ils me posaient des questions, mais c’était tout en anglais, parce que j’avais l’habitude de bosser qu’en anglais.

Et je me suis rendu compte assez vite qu’il y en avait très peu qui allaient consulter la ressource. Parce que Google trad, OK, mais en fait, c’est chiant. Les gens ne le font pas. Déjà, le sujet est un peu intimidant, ça a l’air technique, c’est lourd, ce n’est pas forcément toujours rédigé de façon simple. Donc si en plus, c’est dans une autre langue, tu lâches l’affaire.

Et c’est quand j’ai vu ça que je me suis dit : « Déjà, moi, je ne sais pas m’exprimer en français parce que j’ai appris mon métier en anglais « . Je ne travaillais qu’avec des étrangers. Et aujourd’hui, je ne sais pas argumenter sur tel ou tel sujet parce que je n’ai pas les bonnes formules toutes faites, je n’ai pas les éléments de langage. Alors que je suis française, ça n’a aucun sens, mais en fait, si, c’est comme ça.

 J’ai voulu créer du contenu parce que je cherchais des ressources en français, et je ne savais pas où aller les chercher. Pour des développeurs ou des intégrateurs, il y avait des choses. Pour les designers, moins. 

Donc, je me suis dit : « Je vais créer ce contenu parce que je ne le connais pas en français, je ne sais pas où aller le chercher « . Il y en avait beaucoup, mais plus pour des dev, pour des intés. Pour des designers, il y en avait moins.

Donc, je me suis dit : « Moi, il faut que j’apprenne à m’exprimer en français sur ce sujet. Et puis, ça fera du contenu en français « . On en a besoin dans toutes les langues et parce que c’est aussi localisé, ce n’est pas qu’une histoire de traduction. Il y a un contexte qui est différent en France. Nos législations ne sont pas les mêmes qu’ailleurs. Nos sujets de société ne sont pas les mêmes. Donc c’est important de créer vraiment dans cette langue-là, pour toutes les langues.

Alizée : On a parlé de tes missions, tu as été très attentive au rôle des femmes dans la la tech, que tu as commencé à apprendre aussi par ce biais-là. Est-ce que tu suis encore ces communautés en ligne ? Est-ce que tu peux nous en parler ?

Tamara : Oui, effectivement, quand j’ai commencé, même avant le design, j’étais dans une boite en marketing, je bossais pour une boite à Londres qui s’occupait d’essayer de… Je ne sais pas le dire en français, qui s’occupait de réduire le gender pay gap, le fait qu’il y ait une différence entre ce que va gagner un homme et une femme pour le même job. Et ce truc-là, c’est quelque chose, ça faisait partie des missions de cette boite-là, de faire en sorte que, à travail égal, salaire égal, quel que soit le genre ou le sexe de la personne.

C’était aussi une boite qui s’occupait de valoriser des femmes dans des secteurs très masculin, genre le transport, logistique, la tech aussi, ça en faisait partie. Donc, il y avait tout un système d’awards. Et moi, c’était un peu ma première vision du féminisme dans le monde du travail. Je n’avais aucune idée de tout ça. J’ai découvert qu’il y avait de la discrimination, enfin vraiment « Bonjour, bienvenue « …

 Quand j’ai commencé à travailler, c’était dans une entreprise, à Londres, qui s’occupait d’essayer de réduire l’écart de salaire entre les hommes et les femmes. Ça a été un peu ma première vision du féminisme dans le monde du travail. Puis ensuite, j’ai pu creuser de façon plus intersectionnelle.

Et après, effectivement, j’ai pu creuser dans d’autres systèmes et de façon intersectionnelle, parce que tu commences par ce qui te ressemble, donc moi, je suis une femme blanche et après, tu commences à creuser ça avec d’autres inégalités. Tu commences à regarder : « Ouais, mais si tu es une femme noire ou si tu es une femme handicapé « , tu as encore d’autres barrières. Si tu viens des banlieues, si tu viens d’une famille qui n’a pas d’argent ou dont les parents sont analphabètes, tu les enchaînes, ces obstacles-là.

Donc cette idée de « si on veut, on peut « … Non, c’est n’importe quoi. On ne part pas du tout tous avec les mêmes cartes en main. Donc ça, c’est quelque chose qui m’a tout de suite marquée et qui donne du sens aussi au travail qu’on fait. Et ça m’a vachement marquée, notamment pendant le COVID, parce que je voyais des gens qui bossaient jour et nuit, qui en mouraient de leur travail. Et moi, j’étais juste designer. Je me suis dit : « Mais tu ne sers à rien « . Ce n’était pas une façon de m’accabler, c’était juste : « Mais qu’est-ce que tu peux faire ? »

Alizée : Tu avais besoin de trouver un sens à ton travail.

Tamara : Oui, tu sers à quoi dans la société ? C’est bien chouette d’aider les gens à vendre des baskets, mais et après. Et donc à ce moment-là, je me je me suis dit : « Ok, je ne suis peut-être pas la meilleure designer, je n’ai pas d’Awwwards, mais qu’est-ce que je sais faire ?  »

 J’ai voulu commencer à travailler avec des associations, parce que leur cœur de métier, c’est d’aider des gens. Par contre, ils ont souvent de vieux sites. Et, moi je savais comment faire pour qu’il y ait plus de gens sur leurs sites. C’est comme ça que j’ai donné du sens aussi à ce que je fais.

Moi, je connais les sites, je connais un peu le market et je connais un peu le design. Donc c’est là que j’ai voulu commencer à bosser avec des assos, parce que leur cœur de métier, ce n’est pas du tout le digital, c’est d’aider des gens, en gros. Par contre, ils ont des vieux sites un peu nuls et je me suis dit : « Moi, je sais comment faire pour qu’il y ait plus de gens sur leur site « . Donc du coup, c’est comme ça que tu donnes du sens aussi à ce que tu fais, même si ton métier, à la base, ce n’est pas spécialement de l’humanitaire et c’est Ok, tu peux aussi être utile.

Alizée : Donc ces assos-là, elles aident des gens et toi, finalement, tu es là pour aider ces assos à aider ces personnes-là.

Tamara : Oui, à faire leur métier, tu vois, à toucher des gens.

Alizée : C’est chouette.

Tamara : Après, la partie femme en tech, ça reste un truc assez présent. C’est vrai que je me rends compte, quand je vais chercher des experts… À la base, je vais chercher des experts et expertes et je me retrouve avec quand même beaucoup de femmes. Sur mon blog, maintenant, je fais des interviews avec des gens qui sont, ou concernés par le handicap ou spécialisés dans un métier de communauté. Je me suis rendu compte qu’il y avait quand même beaucoup de femmes. C’est comme ça. Et alors ? (rires)

Alizée : (Rires)

 Sur mon blog, je fais des interviews avec des gens qui sont, ou concernés par le handicap, ou spécialisés dans un métier de communauté. Et je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de femmes. C’est comme ça.

Tamara : Il faut qu’il y ait un petit peu de tout, c’est sûr, mais ça reste une dimension qui est importante. Aujourd’hui, il y a encore des communautés dans lesquelles je participe. Il y a Compositech, par exemple, qui est une communauté qui a été créée par Magali Milberg et une autre personne dont j’ai oublié le nom – ce serait bien que je retrouve le nom quand même – (NDR : Marine Gandy) mais en tout cas, Magali Milberg, que j’ai rencontrée à Paris Web, elle a une communauté qui est vachement active là-dessus.

C’est très militant mais je pense que la cause est indispensable. Tant que c’est un débat, il faudra des gens comme ça pour faire avancer le sujet, pour dire que tu peux être une femme et tu as le droit d’être en tech. Tu peux être dev aussi en fait, c’est Ok, il n’y a pas de débat. Mais il y a des gens à qui ça pose problème et tant qu’il y aura des gens à qui ça pose problème, il faudra continuer.

Alizée : Tout à fait.

Damien : Lier ton métier à ce sentiment d’utilité et d’engagement, on voit que c’est important et que finalement, c’est ce qui t’a un peu fait ressouder avec l’idée de faire ce métier-là. Tu ne le fais pas pour faire des trucs sympa mais parce que ça va servir à des gens, et on voit que c’est pour ça que tu partages à fond sur ce sujet.

D’ailleurs, ça me fait penser à un article récent que tu as écrit sur ton blog, que je conseille aux personnes qui nous écoutent, qui est vraiment super intéressant, globalement sur l’accessibilité Web, où tu parles du sujet du design et de l’autisme.

Plus largement, tu t’intéresses aussi au sujet de la neuro-divergence. Tu en as parlé très rapidement en amont et ça pourrait être intéressant que tu nous expliques ce que tu explores autour de cette particularité-là.

Tamara : Oui, la neuro-divergence, c’est une façon différente de traiter l’information. On est tous concernés par la neuro-diversité. C’est comme la bio-diversité. Tu peux être une plante blanche ou une plante rouge, tu es une plante. C’est pareil avec les cerveaux. Mais la neuro-divergence, c’est assez intéressant parce que ce n’est pas forcément un handicap.

Les symptômes que tu peux avoir, ça, ça peut être handicapant. Effectivement, quand tu as un trouble du spectre de l’autisme, si tu es, je ne sais pas, hypersensible au bruit, ça peut faire partie de tes symptômes, hypersensible au point que sans casque, tu ne peux pas sortir, c’est handicapant. Mais l’autisme en soi, ce n’est pas un handicap.

 La neuro-divergence, ce n’est pas forcément un handicap. Mais les symptômes peuvent être handicapants. Quand tu as un trouble du spectre de l’autisme, si tu es hypersensible au bruit, au point que sans casque, tu ne peux pas sortir, c’est handicapant. Mais l’autisme en soi, ce n’est pas un handicap.

Tu peux avoir la même chose avec le TDAH. Ça, c’est le trouble déficit de l’attention, avec ou sans hyperactivité. Si tu as un trouble de la fonction exécutive qui fait que tu ne peux pas sortir de chez toi sans avoir vérifié 14 fois que tu n’as pas laissé le four allumé, c’est un peu handicapant. Maintenant, comment tu te définis par rapport à ça ? Tu as une dimension sociale, tu as une dimension d’identité personnelle, comment tu as envie de le décrire ?

Ça, c’est très personnel et je crois qu’il n’y a pas de débat à avoir là-dessus. Les gens se définissent ayant un handicap ou pas et c’est comme ça. Mais je trouve ça intéressant parce que c’est un peu le sujet au bord de l’accessibilité, c’est un peu au bord du RGAA. On n’en parle pas vraiment. On ne sait pas trop. Et comme c’est flou, ça m’intéresse.

Alizée : Est-ce que demain, tu penses que si c’est un peu plus creusé, ça fera partie du RGAA ?

Tamara : J’aimerais bien parce que tu as des critères dans le WCAG, qui est la version internationale sur laquelle repose le RGAA – ça juste 10 ans d’avance – et dans le WCAG, tu as trois niveaux. Et dans le niveau de AAA, qui n’est obligatoire nulle part dans le monde, tu as des critères qui vont servir les gens qui ont une neuro-divergence. Par exemple, on te demande d’aligner le texte à gauche, d’éviter le texte centré. Et ça, c’est une base, honnêtement, c’est pareil, on n’a pas attendu l’accessibilité pour le savoir. C’est plus facile à lire parce que horizontalement, tu cherches le début de la phrase sinon.

C’est pratique pour tout le monde, mais quand tu as une neuro-divergence, honnêtement, le texte centré, c’est un calvaire. Donc, quelqu’un qui est dyslexique, par exemple, il va vraiment galérer. Effectivement, ce référentiel qu’on utilise pour savoir si c’est conforme ou pas, il nous aide à améliorer nos pratiques de conception. Mais je pense qu’il faut que ça aille un cran plus loin. Maintenant, on fait quelque chose pour l’accessibilité, pour le handicap. Si on dit que la neuro-divergence n’est pas un handicap, peut-être que c’est autre chose. Peut-être que c’est des pratiques de design autres, je n’en sais rien, mais il faut que ce soit aussi adressé.

 Pour être adressés, il faut que ces problèmes soient connus. Mais même les études scientifiques sur ces sujet-là sont assez nouvelles, Il y a encore plein de choses qu’on ne sait pas. Parfois, on fait des raccourcis, en voulant faire de la vulgarisation, et on dit n’importe quoi. 

Mais pour être adressé, il faut que ce soit connu. Et tu vois, même les études scientifiques sur ces sujets-là, c’est assez nouveau. Il y a encore plein de choses qu’on ne sait pas. On sait tellement peu de choses sur le cerveau. Des fois, on fait des raccourcis, en voulant faire de la vulgarisation, on dit n’importe quoi. Il y a un super bouquin qui est sorti il n’y a pas très longtemps là-dessus, qui s’appelle Neuromania. Et justement, ça remet un peu les pendules à l’heure sur ces trucs qui ont beaucoup circulé, cerveau gauche, cerveau droit, tout ça. En fait, non, ça ne marche pas du tout comme ça, ce n’est pas du tout aussi binaire.

Et sur les neuro-diversités, c’est un peu la même chose. Au niveau des panels, notamment, si je vous dis autisme, dans votre tête, je suis prête à parier qu’il y a un petit garçon blanc, blond de six ans. En fait, non, évidemment. Les femmes aussi sont concernées par l’autisme, mais on ne le sait pas, on le sait moins. Elles sont moins détectées parce qu’il y a moins d’études avec des femmes. Et du coup, en plus, comme elles ont une pression sociale qui n’est pas la même que les hommes, elles vont d’autant plus le masquer, le compenser.

Alizée : Parce qu’on va dire qu’un petit garçon, forcément, il est plus excité qu’une petite fille, il va courir partout…

Tamara : Exactement.

Alizée : C’est normal, c’est un petit garçon, donc il est vite catégorisé.

Tamara : On va chercher pourquoi…

Alizée : On va chercher pourquoi. Et la petite fille, pas vraiment.

Tamara : La petite fille, elle ne va peut-être pas se le permettre de la même façon. Elle va peut-être lutter un peu plus contre elle-même. Après, il y a plein de choses, mais vraiment, il y a des chiffres là-dessus sur le fait que les femmes sont moins détectées.

Damien : J’ai écouté un podcast Québécois l’autre jour, je crois que c’est « Fière TDAH« , quelque chose comme ça, où effectivement, c’était deux femmes qui expliquaient qu’elles avaient découvert leur TDAH extrêmement tard, parce qu’à l’école, on leur avait dit : « Non, ce n’est pas possible que tu aies ça« .

Je voudrais juste revenir sur quelque chose qui est important, tu disais que quand on traite la neuro-divergence sur le web, qu’on traite les problèmes que ces personnes peuvent rencontrer, on rend service à tout le monde et en fait, c’est aussi le cas de tout ce qu’on va faire en termes d’accessibilité.

Est-ce que ça, c’est des choses sur lesquelles tu t’appuies quand tu discutes en interne ? Notamment sur le fait que ce n’est pas juste de l’accessibilité qu’on traite, on va un peu plus sur la qualité web, finalement, la qualité en règle générale.

Tamara : C’est un argument qui peut être important, qui peut être utile dans certaines conversations. Par contre, il y a des nuances avec cet argument-là, parce que si tu motives, si tu justifies l’accessibilité par le fait que ça va rendre service aux personnes valides, honnêtement, ce n’est pas génial.

 L’argument de la “qualité web” peut être important, utile dans certaines conversations. Par contre, il y a des nuances. Justifier l’accessibilité par le fait que ça va rendre service aux personnes valides, honnêtement, ce n’est pas génial.

Parce que le but, justement, pour une fois, c’est de mettre les personnes handicapées au centre de cette action. Donc, effectivement, il est utile l’argument, il est utile parce que quand les gens te disent : « Non, si c’est accessible, ce sera moche« , ce n’est pas vrai. Par contre, il ne faut pas oublier qui est l’utilisateur concerné par cette approche-là.

Donc, je l’utilise quand c’est nécessaire, comme j’utilise les arguments financiers quand c’est nécessaire. Mais ce n’est pas ça le cœur du sujet.

Damien : Ce n’est pas le cœur du sujet, c’est un effet de bord positif.

Tamara : Exactement.

Alizée : C’est déjà le moment de se quitter, mais avant de terminer, on a une toute dernière question, une question que l’on pose à chaque fin de podcast.

Qu’est-ce qui constitue ta plus grande fierté en tant que designer ? Ou qu’est-ce qui t’a dernièrement le plus bluffée ?

Tamara : Il y a eu plein de choses, mais c’est vrai qu’il y a eu des marqueurs qui m’ont laissé comprendre que j’avançais dans la bonne direction.

Quand je suis allée à Paris Web. Honnêtement, j’ai postulé pour rigoler, je me suis dit : « Ça va être un bon entraînement « . Puis on a été prises avec Nora Goerne et franchement, on était un peu gêné. Mais ça s’est super bien passé et ça a été l’occasion de rencontrer des vrais experts du sujet, pour le coup. Et en plus, c’était des gens bien. Donc ça, ça faisait plaisir de se dire : « Waouh, je suis avec des gens hyper cool qui font du travail incroyable. Donc ça veut dire que j’avance dans la dans une direction « .

Mais ça, on va dire que c’est un peu les marqueurs publics. Il y a d’autres choses peut-être plus subtiles qui, moi, me disent : « Il y a un impact à ce que je fais « . Par exemple, quand je suis arrivée chez MAIF, effectivement, j’ai vite été catégorisée comme « Tamaralt « . Je ne dirais pas que j’étais la seule à m’y intéresser, mais je ne sais pas, je devais rabâcher le sujet souvent.

 Quand je suis allée à Paris Web, honnêtement, j’ai postulé comme un bon entraînement, mais on a été prise avec Nora Goerne. Et ça s’est super bien passé. Ça a été l’occasion de rencontrer des vrais experts du sujet, et des gens biens.

Maintenant, depuis deux ans, je vois que ce n’est plus du tout comme ça que ça se passe.

Ils n’ont plus du tout besoin de moi pour poser ces questions-là, pour ramener le sujet sur à la table. Il y a des gens qui posent les questions que j’aurais bien voulu poser moi il y a deux ans. Ils les posent tout seuls et je suis trop contente parce que si ça se dissémine comme ça dans le collectif, ça va pouvoir durer.

Tu ne peux pas avoir une stratégie d’accessibilité qui dépend d’une personne passionnée. Ça, ça ne marche pas du tout. Imagines, si tu fais la même chose avec la cybersécurité, c’est une catastrophe. Il faut vraiment que ça soit pris en compte de façon stratégique. Donc, une des clés, c’est de le disséminer dans tout le collectif. Comme ça, ça marche, parce qu’on ne va pas régler l’accessibilité tout seul. Moi, je ne vais pas y arriver. Donc, il faut qu’il y ait plein de gens qui s’en occupent.

Damien : Et c’est bien de le disséminer, parce qu’en plus, c’est comme ça qu’on t’a rencontré, donc merci Paris Web de nous avoir fait te rencontrer, c’était chouette et super intéressant d’échanger de ça avec toi.

Comme le disait Alizée, on arrive vers la fin de cette l’épisode, merci beaucoup Tamara, pour le temps que tu nous as consacré. C’était vraiment super intéressant de parler avec une designer qui a ce rôle un peu particulier, justement, de « disséminatrice » – je ne sais pas comment on dit (rires) – d’accessibilité dans une organisation.

C’est un rôle qui est assez étonnant et assez souhaitable, donc merci beaucoup de nous en avoir parlé et on va continuer à promouvoir l’inclusivité et l’égalité dans le web et ailleurs.

Alizée : Et suivre la newsletter que tu lances chaque mois !

Damien : Exactement.

Tamara : Merci à vous pour votre invitation.

Damien : Avec plaisir.

Alizée : Il ne nous reste plus qu’à vous remercier d’être toujours plus nombreux à suivre notre podcast.

Nous espérons que ce nouvel épisode vous aura plu. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode de Salut les Designers !

En attendant, n’hésitez pas à écouter ou réécouter les précédents épisodes, à vous abonner à la newsletter du podcast pour retrouver l’ensemble des ressources de nos épisodes, les tips et conseils de nos invités. C’est sur le site salutlesdesigners.lunaweb.fr que ça se passe.

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Sur ce, on vous dit à très bientôt pour de nouveaux épisodes de Salut les Designers !