SLD #17 - Frédéric Bordage, spécialiste en éco-conception des systèmes numériques
SLD #17 - Frédéric Bordage, spécialiste en éco-conception des systèmes numériques
Quelles différences entre éco-conception et sobriété numérique ? C’est à cette question et bien d’autres que répond Frédéric Bordage dans ce nouvel épisode de Salut les designers.
Un nouvel épisode de Salut les Designers particulièrement dans l’air du temps !
Dans ce N°17 nous recevons Frédéric Bordage, spécialiste en éco-conception des systèmes numériques. Fondateur de la communauté Green IT, il est l’auteur du livre Éco-conception web : les 115 bonnes pratiques aux éditions Eyrolles et co-signataire du Livre Blanc Numérique et Environnement rendu au Gouvernement Français en 2018.
Du concept de sobriété numérique à la nécessité d’un changement de paradigme pour les designers en passant par l’avancement de la législation dans ces domaines, Amélie et Arnaud font le point avec Frédéric sur l’éco-conception de nos services numériques.
Bonne écoute à tous et à toutes,
L’Agence LunaWeb.
La transcription
Amélie : Bonjour à tous et à toutes et bienvenue dans ce nouvel épisode de Salut les Designers, le podcast de l’Agence LunaWeb. Ici Amélie et Arnaud, salut Arnaud !
Arnaud : Salut Amélie !
Amélie : Nous sommes ravis, et c’est peu de le dire, de recevoir aujourd’hui dans cet épisode Frédéric Bordage, spécialiste français du numérique responsable et créateur du site d’informations et de bonnes pratiques Green IT. Bonjour Frédéric, comment vas-tu?
Frédéric : Bonjour, ça va très bien ! Je suis aussi ravi d’être avec vous aujourd’hui.
Amélie : Et bien nous de même (rires).
Arnaud : Du coup Frédéric, première question : peux-tu te présenter ?
Frédéric : Oui, Frédéric Bordage, je suis expert indépendant en numérique responsable. J’ai lancé ces sujets en France il y a 17 ans, en 2004. Finalement, l’ensemble Green IT qui était mon blog est devenu un blog collectif, puis le site d’un écosystème qui est devenu une énorme communauté. Aujourd’hui, il y a des centaines de personnes qui travaillent sur des dizaines de dossiers.
Il n’y a qu’en créant de la valeur ajoutée que la rencontre entre numérique et développement durable deviendra appétente.
J’accompagne au quotidien de grandes organisations privées et publiques, des start-up, des États, pour les aider à faire des étincelles dans la rencontre entre le numérique et le développement durable et donc à réduire leurs impacts environnementaux, mais aussi à créer de la valeur ajoutée.
Parce qu’on pense qu’il n’y a qu’en créant de la valeur ajoutée dans cette rencontre que ce sera appétant, à la fois pour les entreprises mais aussi pour nous en tant que consommateur ou consommatrice.
Donc je suis très engagé, j’ai une posture assez militante dans des associations comme Attention Hyperconnexion, Halte à l’obsolescence programmée et évidemment dans Green IT. Et donc, on a des actions auprès des pouvoirs publics et de la société civile en général.
Amélie : Peux-tu nous dire comment cela est né ? Qu’est-ce qui t’a poussé à t’intéresser à l’éco-conception, à tous ce qui concerne les services numériques responsables dont on entend beaucoup parler aujourd’hui ?
Frédéric : Alors, c’est souvent personnel ce genre de déclencheur. Moi, j’ai la chance d’avoir grandi à la campagne, d’avoir toujours été écolo quelque part, d’avoir toujours été sensible à notre environnement. Et puis, j’ai presque eu, je vais le dire comme ça, la chance d’avoir un grave accident de parapente en 2006 qui m’a obligé à me re-concentrer sur les choses essentielles de la vie. Et donc à l’époque j’étais informaticien, enfin j’avais un parcours d’informaticien et de journaliste et l’essentiel c’est devenu, compte tenu de ce que je savais faire, de faire en sorte que cette rencontre entre numérique et développement durable ait vraiment lieu.
Continuer à faire des missions standards, à écrire des articles standards, ce n’était plus possible. Il me fallait du sens pour me reconstruire.
Donc j’ai appuyé sur ce bouton parce que continuer à faire des missions standards ou écrire des articles standards, ce n’était plus possible, il n’y avait pas de sens. Et il fallait absolument qu’à titre personnel, pour me reconstruire, je trouve un sens important à mon activité et que je me concentre sur l’essentiel.
Et puis ça ouvre un horizon, c’est fabuleux. Dès qu’on s’intéresse au sujet de la rencontre entre le numérique et le développement durable, on se rend compte qu’il y a tout à faire, que c’est hyper créatif et qu’il y a des enjeux critiques pour nos gamins. C’est comme ça que tout ça est né.
Arnaud : Il y a une question que beaucoup de gens se posent et ce sont deux notions qui peuvent être intéressantes à préciser à nos auditeurs : peux-tu nous expliquer en quelques mots la différence entre éco-conception et sobriété numérique ?
Frédéric : Ah oui, tout à fait. L’idée de la sobriété numérique, elle part du principe essentiel – il y a à peu près dix ans qu’on a fait germer puis naître cette idée – qu’il nous reste en gros une à deux générations numériques devant nous. Après, les stocks de matières premières avec lesquelles on fabrique le numérique seront vides. Et donc la question se pose, comment va-t-on faire pour avoir du numérique plus longtemps ? Pour y arriver, il va falloir deux choses.
D’une part, que l’on ait un usage plus raisonné au quotidien du numérique, c’est-à-dire qu’on ne l’utilise que quand c’est absolument nécessaire. Ça, c’est toute la démarche de sobriété numérique.
La sobriété numérique est une démarche qui vise à n’utiliser le numérique que lorsque c’est absolument nécessaire.
Et puis, le deuxième sujet de l’éco conception c’est que si l’on veut aussi économiser du numérique, il va falloir que d’un côté, le grand public, les utilisateurs, les consommateurs, les consommatrices aient un usage plus raisonnable, mais aussi qu’on leur permettent d’avoir cet usage plus raisonnable.
Et c’est là que nous, on intervient, les professionnels du numérique. Dans notre conception, on doit concevoir des services numériques qui soient nettement plus économes en ressources. Et donc éco-concevoir un service numérique, c’est faire en sorte qu’un site web, pour prendre un exemple très simple, fonctionne avec moins de serveurs, moins de bande passante. Qu’avec un smartphone d’il y a quatre ans, un service numérique fonctionne encore très bien dessus, et donc donner la possibilité aux utilisateurs d’un site web de l’utiliser sans déclencher l’obsolescence de leur terminal.
Eco-concevoir, c’est donner aux utilisateurs les moyens d’avoir cette démarche de sobriété numérique.
Donc la sobriété numérique, c’est vraiment la posture globale qu’on va adopter et l’éco-conception, c’est un zoom dans cette posture globale sur ce que l’on doit faire, en tant que professionnel, pour réduire les impacts environnementaux.
Amélie : Ok !
Frédéric : Je ne sais pas si c’est clair ?
Amélie : Si si, c’est super clair, complètement.
Aujourd’hui, en tant que designer en agence, on aime vraiment apporter cette sensibilité là. Et c’est vrai que quand on emploie ces termes là, on peut avoir des retours comme « c’est trop complexe » ou « ça va être trop chronophage« , voire « inutile d’implémenter cette démarche » à l’intérieur de nos méthodologies UX.
Comment arrives-tu à rassurer les personnes pour lesquelles tu interviens ?
Frédéric : Oui, ce sont des questions effectivement récurrentes ou l’on nous dit « l’éco-conception de services numériques, c’est hyper compliqué« , etc. C’est sur que l’on fait peur aux gens avec notre vocabulaire très précis d’éco-conception de services numériques.
En fait ça veut dire quoi ? Si on se projette sur un exemple très concret, éco-concevoir un service numérique, c’est partir de Yahoo! qui est finalement un sapin de Noël avec 25 ou 30 fonctionnalités sur la page d’accueil et finir à Google, sans faire l’apologie de Google du tout.
C’est très simple l’éco-conception de services numériques, encore faut-il écouter les utilisateurs et être capable de faire des choix.
Finalement, c’est très simple l’éco-conception de services numériques. Commencez par enlever tout ce qui n’est pas utile, tout ce qui n’est pas essentiel pour les utilisateurs. Ce n’est quand même pas compliqué de se concentrer sur les fonctionnalités essentielles. Encore faut-il écouter les utilisateurs, encore faut-il être capable d’accepter de faire des choix de conception.
Et c’est là que ça devient compliqué car c’est finalement culturel. La difficulté quand on cherche à convaincre nos interlocuteurs sur l’éco-conception de services numériques, c’est que l’on est encore dans une logique où plus c’est mieux, alors même qu’on a bien compris qu’il y a des limites planétaires. Alors que moins c’est mieux, finalement, si l’on tient compte de ces limites.
C’est ce changement de paradigme culturel qui est aujourd’hui encore un frein important, un frein psychologique où nos clients veulent toujours plus de fonctionnalités sur un seul écran parce qu’ils ont l’impression qu’ils en ont plus pour leur argent. Il faut leur expliquer que finalement Yahoo! A perdu la bataille et que Google l’a gagné. Que Google a gagné avec un champ de saisie de mots clés sur un écran 27 pouces et moins.
Ce changement de paradigme culturel est aujourd’hui un frein psychologique important.
En fait ce que je fais pour convaincre, c’est que je parle de retours d’expérience comme ça, concrets, comme Captain Train versus SNCF, Google versus Yahoo! Etc. Pour montrer que le sens de l’histoire, c’est la simplification, c’est se concentrer sur l’essentiel et que ceux qui gagnent aujourd’hui d’un point de vue business – et ça, ça rassure nos clients évidemment – sont ceux qui sont capables de faire des interfaces et des services numériques globalement très simples, sobres, tournés vers les besoins essentiels des utilisateurs. Et donc en empilant de vrais succès mondiaux, en général on arrive à convaincre.
Amélie : En fait, on a tous à y gagner quoi.
Frédéric : Ah on a tous à y gagner, c’est clair. Et souvent ça fait aussi peur aux agences parce que les gens se disent « si je n’ai pas 25 fonctionnalités à designer, développer, mettre en prod, alors j’ai 25 fois moins de taf et du coup, je vais devoir licencier, je vais perdre du business » alors que pas du tout.
Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas de destruction de business dans une approche d’éco-conception, au contraire.
Parce qu’en fait on va pouvoir, si on met moins de temps à traiter un dossier parce qu’il est éco-conçu, qui se concentre sur l’essentiel, traiter plus de clients. Et comme on crée plus de valeur ajoutée, on va aussi pouvoir vendre plus cher nos prestations. Parce que nos clients sont très satisfaits, ils vont avoir des taux de transformation important, etc. Etc. Il n’y a pas de destruction de valeur ajoutée, au contraire. Il n’y a pas de destruction de business dans cette approche, au contraire on en créé.
Arnaud : Aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a encore assez peu de sites éco conçus, même si on ressent que l’on est dans un tournant. Avec ton expérience, quel est ton ressenti sur ce qui est en train de se passer aujourd’hui ?
Frédéric : J’ai un ressenti très clair, il y a 17 ans, il n’y avait rien, ça c’est clair (rires).
Arnaud : (Rires).
Frédéric : On a des jalons historiques. Quand on a remis le livre blanc « Numérique et environnement » à Brune Poirson et Mounir Mahjoubi en mars 2018, dans le premier chapitre de nos recommandations aux pouvoirs publics, il y avait « Rendre obligatoire l’éco-conception des sites web de l’État et des grandes entreprises« . Ça, ça a commencé à activer sérieusement le sujet. Quand on a remis ce livre au secrétaire d’État au numérique et à la transition écologique, ça a vraiment été un jalon historique.
Après, il y a eu un momentum en juin 2020 parce que proposition de loi sur la réduction de l’empreinte environnementale du numérique en France par le Sénat, parce que publication de notre étude sur les impacts environnementaux du numérique en France. Tout un tas de contextes qui ont fait que nos parties prenantes, nos clients, tout le monde a compris qu’il allait se passer un truc et que ce n’était plus une option d’éco-concevoir. Et depuis juin 2020, depuis un peu plus d’un an, il y a eu une explosion. Ça a commencé un peu avant mais il y a vraiment une eu explosion de l’intérêt sur le sujet.
La remise du livre blanc au secrétaire d’État au numérique et à la transition écologique en 2018 a vraiment été un jalon historique.
Par exemple, on a un outil qui s’appelle Eco Index, qui permet de calculer l’empreinte environnementale d’une page Web. Et bien on a recensé 12 plagiats de cet outil.
Amélie : Ah oui ok !
Frédéric : Sur les 12 derniers mois, 12 plagiats de l’outil. C’est à dire qu’il y a plein de boites qui ont pris nos valeurs, comme par hasard plus ou moins les mêmes présentations, les mêmes services et qui exploitent le travail qui a été réalisé bénévolement sous Licence Creative Commons par la communauté. On pourrait voir ça comme quelque chose de négatif – évidemment ça nous agace – mais par contre c’est un signe très fort qui montre qu’il y a des start-up qui se montent sur le sujet, qu’il y a une demande extrêmement forte des entreprises.
A fortiori depuis qu’on a réussi à glisser dans la Loi REEN (Réduction de l’empreinte environnementale du numérique en France) l’incitation à éco-concevoir. Initialement c’était l’obligation d’éco-concevoir les sites web de l’état et des grandes entreprises, maintenant il y a une incitation, c’est un peu moins engageant, mais il y a cette incitation dans la loi à éco-concevoir les sites web des grandes entreprises et des pouvoirs publics.
Depuis l’incitation à éco-concevoir inscrite dans la loi REEN, il y a clairement une accélération exponentielle sur le sujet.
Donc du coup là oui, ça explose vraiment, littéralement. Mais surtout pour des questions de business en fait. Soit les grandes structures ont peur des contraintes légales et donc elles se disent qu’il faut tout de suite anticiper ces contraintes légales pour être en règle. Ça c’est un peu le bâton. Et puis, il y a la carotte, il y a des tas d’acteurs qui se disent qu’il y a du business à faire sur l’éco-conception, donc ils se lancent. Il y a vraiment une accélération exponentielle sur le sujet.
Amélie : Arnaud et moi sommes designers. Penses-tu que nous avons vraiment un rôle à jouer en tant que designers dans une démarche d’éco-conception ?
Frédéric : Oui, je pense que vous avez un rôle essentiel et que culturellement, c’est pour vous que c’est le plus difficile. Je ne suis pas designer, mais je croise beaucoup de gens qui sur la partie graphique du design ont beaucoup de mal. Aujourd’hui, ces profil là ont beaucoup de mal à comprendre, à retrouver des codes et des règles pour créer des interfaces qui soient fluides, vraiment tournées vers l’expérience utilisateur, simple, efficace, etc.
Aujourd’hui, je trouve que les designers ont beaucoup de mal à retrouver des codes pour créer des interfaces simples et efficaces.
On a peur de dépouiller les interfaces quelque part. On a peur d’avoir des services numériques qui vont trop vite dans la réalisation de l’action qu’on cherche à réaliser, prendre rendez-vous chez le médecin ou consulter son compte en banque. Aujourd’hui, nos clients nous demandent souvent aussi du temps. C’est-à-dire que pour eux, l’engagement, c’est le temps qu’on va passer à réaliser une action. Et donc, l’enjeu pour moi au niveau du design, c’est de faire en sorte que quand on design de services numériques il y ait le moins de charge cognitive possible pour l’utilisateur – parce qu’on est tous surchargé cognitivement clairement – qu’il n’y ait pas évidemment tout ce qui est économie de l’attention, qu’on ne soit pas dans toutes les mécanismes qui exploitent les circuits de la récompense, etc.
Mais aussi que ça soit très court en fait. Plus c’est court et plus c’est bon pour le dire de façon un peu provocante. Pourquoi ? Parce que l’utilisateur, lui n’en a rien à secouer de passer trois minutes pour réserver son billet de train. Ce qu’il veut c’est le faire en trois secondes.
Aujourd’hui je pense que les designers ont toutes et tous compris ça, l’enjeu d’avoir des interfaces UX friendly, sobres. Le problème c’est que le client regarde encore le temps que les utilisateurs vont passer et plus le temps est long sur une page web, par exemple, plus il trouve ça bien. Il n’a pas compris que les utilisateurs veulent passer le moins de temps possible pour réaliser l’action qu’ils ont à réaliser. Et donc je pense que c’est là qu’il doit y avoir une tension très forte pour vous dans ce qu’on vous demande en termes de réalisation.
J’ai le sentiment que l’on a peur d’avoir des services numériques qui vont trop vite dans la réalisation de l’objectif de l’utilisateur.
Mais clairement, les designers auront un rôle critique. C’est pour ça qu’on travaille avec les designers éthiques – je pense qu’un jour vous allez échanger avec eux – qui font un super boulot, Aurélie, Karl et bien d’autres. Parce que nous, on pense que il faut une conception globalement responsable des services numériques et que la sobriété est la clé. Que moins on demande de données personnelles, moins il y a d’éléments graphiques inutiles, moins il y a d’étapes ou de clics inutile, plus c’est sobre au sens global, en termes de design pur, plus on va réduire les impacts environnementaux, réduire la charge cognitive, réduire le coût de maintenance, plus on va adresser finalement la globalité des objectifs du développement durable. Mais je pense que ça, ça commence à être compris par les designers, je ne sais pas comment vous voyez les choses , je ne vais pas inverser le podcast, mais je pense que ça commence à être perçu.
Arnaud : Quand j’ai commencé mes études de designer, on m’avait donné la citation d’un designer du Bauhaus qui était architecte, designer, enseignant (NDR : L’architecte allemand Ludwig Mies van der Rohe) et qui avait une citation très simple, qui était « Less is more« . Et c’est là dessus en général qu’on démarrait la formation de nombreux designers sur le fait que le plus important c’était la fonction. Et voilà… Je n’ai pas de fin à cette phrase. (rires)
Frédéric : La fin de cette phrase, c’est que maintenant « Less is not more » mais « Less is better« . En fait c’est ça qu’il faut comprendre. C’est que moins c’est mieux, c’est vraiment mieux. Et ça je pense que tout le monde le comprend aujourd’hui, compte tenu des limites planétaires, de la surcharge cognitive monstrueuse qu’on a avec le numérique, « Less is better« , c’est vraiment ça.
Aujourd’hui, « Less is better ».
Arnaud : On voulait savoir si tu avais un point de vue sur l’utilisation de l’Atomic Design et une idée de son impact favorable ou défavorable à l’éco-conception ?
Pour nos auditeurs, il s’agit d’une méthode de conception qui va utiliser des composants qui s’assemblent entre eux, qui vont permettre aux concepteurs, aux conceptrices de factoriser les éléments d’interface utilisés et d’en assurer une cohérence globale. Ça permet aussi de se rapprocher un petit peu du fonctionnement que vont avoir les développeurs les front-end.
Frédéric : L’intérêt de cette approche, c’est son caractère mécanique ou l’on a des briques de Lego qu’on assemble. Et ce caractère mécanique permet notamment, d’un point de vue technique, toutes les optimisations techniques qu’on va pouvoir mettre en œuvre pour réduire des impacts environnementaux. Ça va permettre d’avoir un investissement sur une brique de Lego ou un composant atomique et d’être sûr que ce qu’on a investi dans en termes de conception technique, design, etc. va pouvoir bénéficier aux interfaces à chaque fois qu’on utilise ce composant, donc ça c’est intéressant clairement. Parce qu’on va pouvoir vraiment industrialiser la partie optimisation technique.
Si l’Atomic Design, à travers la réutilisation d’éléments d’interface, permet de baisser la charge cognitive de l’utilisateur, parce qu’il est sur une interface qu’il reconnaît, alors ça a vraiment du sens.
Après, en terme de conception d’interface, je ne me rends pas compte en fait. Nous, on travaille toujours à partir d’une unité fonctionnelle, c’est-à-dire d’une action à réaliser – prendre rendez-vous chez le médecin admettons – et après l’enjeu, c’est que ça soit le plus court et le plus fluide possible. Donc, si l’atomic design, notamment au travers de la réutilisation de code, permet de baisser la charge cognitive, d’accélérer l’action de l’utilisateur parce qu’on est sur une interface standard qu’il maîtrise, alors ça a du sens, vraiment.
Ensuite je pense qu’il y a des enjeux plus économiques sur le fait de réutiliser quoi. Après je ne suis pas assez designer pour apporter un commentaire ou un jugement plus qualitatif que celui là.
Arnaud : (Rires) Si je paraphrase un peu ce que tu dis, l’Atomic Design est intéressant, mais il faut l’utiliser intelligemment.
De ce que j’ai observé, l’atomic design peut aussi devenir un problème à partir du moment où l’on commence à concevoir toute une « usine à gaz » de composants, avec des éléments qui ne vont pas forcément être utilisés dans les interfaces et qui ne font pas sens au final.
Frédéric : Oui, souvent l’analogie que je prends, c’est que nous sommes des architectes. C’est à dire que notre boulot n’est pas d’être le maçon qui assemble les parpaings les uns après les autres. Il n’y a que de nobles métiers, on a besoin de maçons. Mais notre boulot, c’est de prendre la contrainte de nos clients qui nous disent « je veux une maison en bois » ou en béton, ou je ne sais pas trop quoi et de faire avec ses contraintes et évidemment avec les contraintes environnementales, sociales, etc. Notre boulot à nous, c’est de répondre à l’ensemble de ces contraintes. Donc si l’atomic design répond à cette problématique parce qu’on a besoin de réutiliser rapidement plein de composants standards, c’est top.
LA méthode parfaite n’existe pas. Il faut se rendre compte qu’éco-concevoir c’est aussi beaucoup de bon sens.
Maintenant, on cherche toujours à avoir LA méthode qui fait tout et ce n’est pas possible. En conception d’interface et plus globalement en design, je pense qu’il faut savoir sortir les bons outils au bon moment. Ce n’est pas une réponse normande que je fais, c’est simplement que l’on se rend compte que c’est du bon sens d’éco-concevoir en fait. Il y a des fois où probablement l’atomic design sera parfaitement adapté et d’autres fois il faudra se méfier du phénomène « usine à gaz » que tu évoques.
Amélie : L’une des contraintes que l’on retrouve souvent dans nos métiers, c’est ce besoin des clients de retrouver un effet wow sur leur site.
Et on a l’impression que l’éco-conception n’est pas compatible pour eux avec ce besoin, qu’en en tenant compte, le résultat « ressemblera au Minitel« , qu’ils perdront ce côté immersif, inspirationnel.
Est-ce que tu penses que ses deux aspects sont compatibles ?
Frédéric : En fait, l’effet wow s’est traduit en effet, Yahoo! et Yahoo! est mort.
Amélie : (Rires) Le petit jeu de mot !
Frédéric : (Rires) Je veux dire, l’effet wow finalement, si on se met à la place des utilisateurs – c’est à dire de ceux pour qui on design – c’est l’effet Google quoi. Moi, je veux juste un truc qui ne fasse pas d’effet wow, je veux juste un truc qui marche partout, tout le temps, qu’il soit simple, efficace, pertinent tout le temps. C’est ça l’effet wow pour l’utilisateur final.
L’effet wow s’est traduit en effet Yahoo! et Yahoo! est mort.
Amélie : Oui, c’est à travers l’expérience qu’on va trouver l’effet wow, à travers la fluidité dans le parcours.
Frédéric : Oui, c’est à travers ce que l’on délivre. Est-ce qu’on a un résultat instantané qui marche partout, qui fonctionne, qui est pertinent ? C’est ce qu’on délivre qui compte pour l’utilisateur final. Et on voit bien la tension très forte qu’il y a entre nos clients qui n’ont pas compris le monde numérique d’une certaine façon, qui sont sur des effets bling bling, wow, etc. et ce que demandent leurs utilisateurs !
Leurs utilisateurs, ils n’en ont juste rien à secouer de l’effet wow quand ils veulent prendre rendez-vous chez le médecin, réserver un billet de train, consulter le solde de leur compte en banque, toutes nos actions quotidiennes. Pour tout ça, l’effet wow est fréquemment contre-productif.
Par contre évidemment, on peut imaginer que quand on est une marque de luxe, cet effet wow soit un peu plus recherché. Je pense que la jonction entre « le très efficace » et « l’effet wow » c’est un énorme travail que doivent faire aujourd’hui les DA. Comment arriver à des interfaces appétentes mais très simples.
Il y a littéralement une révolution culturelle à faire. On ne sait plus faire d’interfaces simples.
Et c’est là que le bât blesse aujourd’hui de mon point de vue. Les DA ne savent pas comment faire aujourd’hui. Il y a un choc culturel, une révolution culturelle littéralement à faire. On ne sait plus faire des interfaces simples d’un point de vue graphique pour commencer. C’est vraiment cette population de professionnels qui a un travail énorme à faire pour réinventer la façon dont elle travaille.
Je pense que l’utilisateur n’est pas tant que ça dans une recherche d’expériences immersives, concrètement.
Arnaud : Et puis c’est très subjectif l’effet wow aussi.
Frédéric : Oui !
Arnaud : Tout à l’heure tu évoquais les designers éthiques, ils ont un site Internet justement – je ne sais pas quand ils l’ont sorti, c’est peut-être assez récent – mais quand je l’ai découvert je pense que j’ai eu un peu un effet wow. Il y avait une utilisation des éléments que je trouvais intéressante, je me suis émerveillé de ça parce que c’est un sujet qui m’intéresse.
C’est quelque chose qui peut être très subjectif.
Frédéric : Oui oui, c’est très subjectif. Après notre cible principale, c’est à dire le grand public, les utilisateurs en général sont moins attentifs que nous à ces interfaces minimalistes on va dire. Mais il est clair que l’on va nécessairement tendre vers un design plus minimaliste pour des questions de performances, parce que quand on va attaquer les pays émergeants, tout le monde n’aura pas la 5G ou la 4G à fond. De toute façon, le sens de l’histoire, ce sont des interfaces beaucoup plus sobres, beaucoup plus minimalistes.
En fait ça pose une question fondamentale « Qu’est-ce qu’on conçoit ?« . On arrive au fond quoi. Est-ce que l’on conçoit un service interactif qui permet de prendre des rendez-vous chez le médecin, de consulter le solde de son compte en banque, etc, c’est à dire des interfaces dont finalement, on en a juste rien à secouer que ça soit joli, qu’il y ait un effet wow, on veut juste que ça dépote, que ça aille vite, ça soit pertinent, que ça marche partout, tout le temps. Où, est-ce que je suis dans un autre type de services numériques où je cherche une expérience multimédia, avec des images de haute qualité, finalement des cas exceptionnels, la plupart du temps. C’est à dire que par rapport au gros du volume de ce que l’on conçoit au quotidien, en général ça correspond plutôt à des usages particuliers.
Tout cela pose la question fondamentale : « Qu’est-ce que l’on conçoit ? ».
Moi, je ne cherche pas à avoir une expérience immersive quand j’utilise le numérique au quotidien, je ne cherche pas ça concrètement. Je bosse, j’ai des besoins d’utilisateur dans ma vie personnelle mais je ne cherche pas à avoir un truc en « réalité virtuelle 3D avec des images HD », il suffit que ça marche. J’habite à Grenoble, la 4G ne marche pas partout, la fibre optique n’est pas arrivée partout, je veux juste que ça marche quoi concrètement. Souvent il y a une confusion sur le fond, « Qu’est-ce que l’on est en train d’éco-concevoir ?« . Et tout ce qui est en train de se passer en ce moment autour de l’éco-conception, de la conception globalement responsable, va nous obliger à bien segmenter à nouveau. Avec d’un côté des services interactifs utiles et de l’autre le loisir, probablement. Ou là, dans le loisir, on va rechercher plus d’effet wow.
Arnaud : Tu as écrit un ouvrage qui s’appelle « Éco-conception web, les 115 bonnes pratiques pour éco-concevoir« , tu es également l’auteur d’un référentiel chez Green IT « 65 bonnes pratiques pour être dans une démarche de sobriété numérique« .
Est-ce que depuis l’écriture de ces ouvrages, tu observes déjà de nouvelles bonnes pratiques à ajouter ?
Frédéric : Oui. Déjà ce sont deux référentiels. Dans le premier, « 65 bonnes pratiques greenIT » on vise tout les systèmes d’information de l’entreprise, des impressions aux datacenters en passant par les postes de travail, etc. Et le deuxième référentiel, « les 115 bonnes pratiques d’éco-conception web » lui vise vraiment la façon dont on éco-conçoit tous les services numériques et architectures web. Ça peut être une API, un site Web, etc.
Première information, c’est vraiment un travail collectif. C’est-à-dire que je suis souvent l’auteur principal parce que je tire la barque, mais on est un paquet à ramer derrière. C’est vraiment un travail qui a été réalisé par des dizaines et des dizaines de professionnels du domaine, donc je veux leur rendre leur part de travail.
Donc, clairement, on voit une évolution régulière dans les bonnes pratiques, on en enlève, on en ajoute. Sur le référentiel « 65 bonnes pratiques green IT« , on va sortir la 3ème version d’ici la fin de l’année et sur le référentiel éco-conception web, on va probablement sortir la 4ème version sur le 1er semestre 2022. Donc on en enlève et on en ajoute en permanence, il y a effectivement des bonnes pratiques qui arrivent, d’autres qui ressortent.
On a par exemple dans le référentiel éco-conception web actuellement une bonne pratique qui dit d’éviter d’utiliser Flash. Alors évidemment Flash est déprécié depuis un certain nombre de mois, mais on avait par exemple des banques qui nous disaient « Nous, dans le cahier des charges qu’on envoie à nos prestataires, on a besoin de leur dire de ne pas utiliser Flash » parce que Flash est encore officiellement supporté.
Il y a un retard entre les bonnes pratiques des référentiels officiels et la réalité du marché. Parce que certains acteurs ont besoin de pouvoir s’appuyer sur nos recommandations pour cadrer leurs prestataires.
Donc on a souvent un train de retard sur les bonnes pratiques qui sont dans le référentiel officiel et la réalité du marché. Parce qu’on a parfois des acteurs qui ont besoin de pouvoir s’appuyer sur nos référentiels pour pouvoir cadrer leurs prestataires. Donc, on fait évoluer au fil de l’eau comme ça, avec une certaine lenteur, les bonnes pratiques qu’on injecte.
Ce qu’il faut bien comprendre sur ces référentiels, c’est que ce sont de bonnes pratiques génériques que l’on a assemblé mais qu’il y a aussi autant de mauvaises pratiques que d’individus. Souvent éco-concevoir c’est aussi faire attention et se prémunir de ces mauvais réflexes de conception à tous les niveaux technique, design, etc. Donc ces référentiels ne sont pas suffisants en eux mêmes, par eux mêmes. Il faut vraiment adopter une posture globale et ensuite s’assurer de façon un peu plus mécanique, au travers de tout l’ensemble de ces bonnes pratiques, qu’on les met effectivement bien en œuvre. Il ne faut pas avoir peur d’en inventer, d’en créer, d’en supprimer. Ce qu’on fournit en tant que collectif c’est vraiment une base, après il faut vraiment travailler autour.
Arnaud : Ok, donc ce n’est pas une grosse liste de tâches à checker ?
Frédéric : Ce n’est pas une bible. Ça aide mais il faut vraiment, selon la nature de ses projets, selon les architectures techniques, selon où on en est dans la façon dont on fait le design, ne pas se cantonner à ces bonnes pratiques là. Sinon, on risque de passer à côté d’un certain nombre de bonnes pratiques clés qui ne sont pas dedans parce qu’on ne peut pas toutes les recenser, tout simplement.
Amélie : En tout cas c’est super rassurant d’avoir ces référentiels, de pouvoir consulter l’ensemble de ces bonnes pratiques. On s’aperçoit finalement qu’en sobriété numérique, il y a des choses que l’on fait déjà de bien.
Frédéric : Il y a un point aussi qui est important, c’est que l’on voit une convergence. C’est à dire qu’entre les mondes de l’accessibilité numérique, de la RGPD, de l’éthique, de l’éco-conception, de la minimisation de la dette technique, on voit globalement que quel que soit l’angle par lequel on prend la conception et quel que soit le profil – développeur, UX, etc – on est tous en train de converger vers un corpus de bonnes pratiques qui est en train de se rassembler. Même avec du SEO et de la performance, on a de plus en plus de recoupements. Donc c’est normal et c’est même bon signe qu’on ait un recoupement de plus en plus fort entre les bonnes pratiques qu’on va retrouver en accessibilité, en qualité, en éco-conception. C’est logique, c’est le sens de l’histoire et c’est rassurant.
Amélie : C’est très poreux quoi.
Frédéric : Oui c’est ça, c’est très poreux. La difficulté par contre sur le terrain en termes de mise en œuvre, c’est d’arriver à ne faire qu’un seul référentiel. Pour ne pas faire « sur la v1 de mon site web j’éco-conçois, sur ma v2 je rend accessible« , en fait non. Il faut adopter une posture globale, essayer d’avoir un seul corpus de bonnes pratiques. C’est ce qui est difficile aujourd’hui parce qu’il n’y a pas un seul corpus. Mais c’est logique et on en aura jamais un seul. Parce que ce sont des communautés l’accessibilité, l’éco-conception, la qualité, qui finalement sur leurs expertises, produisent les référentiels de références. Après, c’est à nous acteurs d’arriver à aller piocher dedans, en fonction de la nature de notre projet pour se créer notre propre corpus de bonnes pratiques à mettre en œuvre.
La difficulté aujourd’hui c’est qu’il n’y a pas – et il n’y aura jamais – un seul corpus. Mais c’est aussi logique.
Amélie : Est-ce que tu penses que l’éco-conception finira par être légiférée ? Est-ce qu’elle prendra le même chemin que l’accessibilité ?
Frédéric : Oui oui. Sur cette obligation légale, on est l’acteur qui porte ce message en termes de plaidoyer, puisque Green IT c’est aussi un collectif de citoyens, de citoyennes. On fait du plaidoyer depuis plus de dix ans auprès des pouvoirs publics. On est l’acteur qui porte cette idée de rendre obligatoire l’éco-conception des sites web de l’État et des grandes entreprises.
Pour l’instant, ce qu’on a dans la proposition de loi qui doit repasser en novembre au Sénat ou au premier semestre – et ce sera le vote définitif – c’est une incitation. Initialement, on avait un caractère obligatoire. Et puis, l’Assemblée Nationale a fait sauter le caractère obligatoire, maintenant il y a une incitation à éco-concevoir. Donc ce qu’on devrait au minimum avoir dans la loi lorsqu’elle sera votée et qu’elle entrera en application, c’est à dire probablement d’ici fin 2022, c’est une incitation à éco-concevoir. Nous évidemment, d’ici là on fait le maximum pour qu’on ait une obligation. Mais je pense qu’on n’aura pas d’obligation parce que il y a des élections, il y a tout un contexte qui fait qu’on n’y arrivera pas. Sachant que nous, on travaille au niveau de la France et qu’on travaille aussi au niveau de l’Europe. Et au niveau de l’Europe, on va paradoxalement probablement progresser plus vite qu’en France.
Au-delà de l’incitation inscrite dans la loi, nous faisons le maximum pour qu’il y ait une obligation. Mais l’échéance des prochaines élections ne donne pas espoir.
La France voulait être exemplaire et c’est le premier pays à légiférer sur une loi qui vise à réduire les impacts environnementaux du numérique. Mais le texte a été un peu vidé de sa substance. Ce n’est pas politiquement correct ce que je dis, mais c’est une réalité. Même si c’est une première mondiale et que c’est top, il a été un peu vidé de sa substance et on devrait avoir des obligations légales qui arrivent plus vite au travers de l’Europe concrètement.
En tout état de cause, le point important c’est qu’il ne faut pas attendre d’obligation légale parce que Yahoo! est mort et que Google a gagné. Parce que Captain Train, qui est devenu Trainline, vendra plus de billets de train que la SNCF bientôt. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la conception responsable des services numériques avec en son sein l’éco-conception, c’est un facteur de différenciation, de compétitivité, de design, d’innovation et de design produit. Si on ne veut pas mourir, on a intérêt de s’intéresser à la rencontre entre numérique et développement durable et à éco-concevoir.
En tout état de cause, le point important est qu’il ne faut pas attendre d’obligation légale. L’éco-conception est un vrai facteur de compétitivité, de création, d’innovation.
C’est ce qui fait la différence. Nous, on accompagne des start-up qui vont devenir des leaders mondiaux dans leur domaine parce qu’elles ont compris ça et que grâce à l’éco-conception de leurs services numériques elles sont capables d’attaquer tous les pays émergents, par exemple. Ce qu’elles n’auraient pas pu faire sans éco-concevoir.
Je pense que ce qui est important c’est de comprendre que l’éco-conception et plus globalement la conception responsable de services numériques, c’est vraiment un facteur de compétitivité, de création, de valeur ajoutée, d’innovation. Ce n’est pas du marketing quand je dis ça, c’est une réalité qu’on vit sur le terrain, nous on voit des boîtes qui gagnent des parts de marché grâce à ça. Ce n’est pas encore assez perçu comme ça. On est encore dans « j’éco-conçois mon site web pour sauver la planète ». Super, il faut le faire pour ça, mais pas que. Ça ne sera pas suffisant.
Bon, c’était un peu long, mais…
Amélie : Non, non, c’est super intéressant ! Parce que c’est vrai qu’on peut aussi avoir peur de tomber dans le greenwashing. À travers ton explication, on comprend bien tous les enjeux qu’il y a à s’y mettre réellement.
Frédéric : Il y a un vrai enjeu de greenwashing pour rebondir. C’est à dire qu’aujourd’hui un certain nombre d’acteurs puissants sont en train d’institutionnaliser le greenwashing sur le numérique. Il y a de vrais enjeux actuellement à ce sujet. Le monde de demain, notre monde de demain, c’est à dire sur l’éco-conception, la conception globalement responsable, il va être un peu bipolaire. Avec une vision un peu mainstream, très ras des pâquerettes, très bas niveau, très peu exigeante avec – je pense que c’est ce qu’on risque de voir apparaître – des contraintes légales, des sortes d’éco labels, etc, où tout le monde sera plus vert que vert.
Malheureusement aujourd’hui, la pratique du greenwashing est très présente sur ces sujets.
Je pense que l’on va voir apparaître des systèmes de récompenses ou de reconnaissance d’un premier niveau d’éco-conception qui sera vraiment minimum. Et que les acteurs qui sont vraiment dans une éco-conception profonde n’auront pas intérêt à chercher à revendiquer qu’ils ont éco-conçus parce que c’est finalement les bénéfices pour leurs utilisateurs, les taux de transformation, tous les bénéfices business ou autres qui feront la différence concrètement.
Je pense que c’est ça le sens de l’histoire. Parce qu’on est déjà rattrapé par le greenwashing malheureusement sur ce sujet là. Il y a un très très gros greenwash aujourd’hui.
Arnaud : Je crois qu’on arrive à la dernière question de notre entretien. Est-ce qu’il y a quelque chose qui t’a bluffé, qui t’a inspiré dernièrement ?
Ça peut être un outil, un livre, une rencontre, un post que tu aurais lu sur un blog, etc.
Frédéric : Alors ça ne va pas être en lien avec mon monde professionnel mais je suis en train de relire l’histoire de la Terre depuis le Big Bang, il y a 13 milliards d’années, la Terre il y a quelques 5 milliards d’années.
Et plus je lis sur ce sujet et plus je me rends compte qu’il y a un truc qui n’est pas bien perçu dans le développement durable aujourd’hui. C’est que finalement, on n’est pas là pour sauver la planète. La planète, elle n’en a juste rien à secouer des êtres humains. Sur une échelle temporelle d’une année, on est arrivés le 31 décembre à 23h59, donc on vient juste d’arriver sur Terre.
L’éco-conception est encore perçue comme une action destinée à “sauver la planète ». Mais aujourd’hui c’est pour nous sauver nous-mêmes qu’il faut le faire.
Souvent dans les démarches qui sont entreprises, il y a un côté très « il faut sauver la planète« . En fait, tout ce que l’on fait dans le développement durable, c’est pour nous sauver nous-mêmes. Parce qu’il y a des enjeux de survie de l’humanité, littéralement, en ce moment je veux dire, on a attaqué l’effondrement, on est dedans.
Donc ce qui me bluffe, c’est cette prise de conscience de la vitesse à laquelle – on le voit dans l’actualité par exemple, avec les grands incendies de cet été – l’environnement se dégrade. Et de la non-prise d’actions de l’humanité finalement. Je veux dire, on devrait courir là, on devrait essayer de sauver notre peau d’une certaine façon. C’est hyper créatif, c’est hyper fun, c’est joyeux, c’est génial, on a inventé un nouveau monde et on est encore dans une vision qui est trop 1/0 sur ces sujets là, trop « il faut sauver les bébés phoques« , « c’est pour sauver la planète« . Non non, courons déjà pour sauver notre peau.
Nous ne sommes déjà plus dans la réduction des impacts. Il faut créer le monde de demain, changer de paradigme, faire la révolution !
On est encore dans une vision où il faut réduire les impacts, alors qu’on est plus là dedans, on n’est plus dans la réduction des impacts. Il faut créer le monde de demain, il faut changer de paradigme, c’est la révolution !! (rires)
Amélie et Arnaud : (Rires).
Frédéric : Je pense que l’on a pas encore pris conscience que l’on doit vraiment faire une révolution si on veut que nos gamins aient un avenir. Moi j’ai une gamine qui à 11 ans, j’ai envie qu’elle ait un avenir et il faut aller plus vite, plus fort, plus loin. Il faut que l’on soit plus radicaux, au sens noble du terme. Disons que sur ces derniers mois, sur cet été, c’est ce qui m’a bluffé. C’est cet écart monstrueux qu’il y a entre la réalité de ce qui est en train de se passer et notre lenteur à réagir.
Ce qui me bluffe c’est cet écart monstrueux qu’il y a entre la réalité et notre lenteur à réagir.
Donc voilà, je vous incite à accélérer et aller un peu plus vite, un peu plus loin sur le sujet.
Amélie : En tout cas c’est une super phrase pour conclure cette interview, accélérer c’est bien le maître mot.
Frédéric, on voulait te remercier d’avoir accepté notre invitation autour de la conception responsable. J’espère que nos auditeurs et auditrices ont pu en apprendre plus sur ce qui est sûrement, comme l’UX à l’époque, une des prises de conscience majeures de ces prochaines années dans nos métiers. Et surtout, dès à présent, agir pour une conception plus responsable.
Merci beaucoup Frédéric, au revoir et à bientôt.
Frédéric : Merci à vous deux et à bientôt.
Arnaud : Merci Frédéric.
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